18ème Dimanche du temps ordinaire Année A

Mt 14, 13-21

Bon sens et sens de la bonté

Par le Père Pierre ABRY,     

          Par complaisance pour ses convives, Hérode vient de faire décapiter Jean-Baptiste, cédant au caprice d’une adolescente et au ressentiment d’une femme traitresse. Jésus se retire alors dans un lieu désert, comme pour cueillir dans le silence, le sens de cet événement pour son propre destin. Le Baptiste est en effet son Précurseur. Toutefois, une foule nombreuse vient à sa suite. Remué aux entrailles par leur détresse, il les enseigne et guérit leurs infirmités.

          A la tombée du jour sur ce lieu désert, les disciples, pleins de bons sens, recommandent le renvoi des foules. Qu’elles pourvoient aux nécessités de leur subsistance dans les villages environnants. Jésus, lui, plein du sens de la bonté divine récuse toute nécessité de renvoyer ces brebis sans pasteur : « Donnez-leur vous même à manger ! » Quel contraste ! Ceux que Jésus attire, les disciples veulent les renvoyer ! Leur bon sens humain, loin du sens de la bonté divine, s’apparente bien plus au « peu de foi » que Jésus reproche souvent. La même incrédulité drapée de bon sens habite certaines lectures modernes de l’événement, incapables d’envisager le miracle qui dépasse la nature. Chacun aurait sorti son sandwich pour le partager avec les autres. De bon sens en bonnes manières, il y a toujours des restes à l’auberge espagnole…

          Le Bon-Pasteur « fait étendre les foules sur l’herbe. » « Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre… » (Ps 22) Lui multiplie pains et poissons, aux disciples de les distribuer. Le manque devient lieu de la satiété et du débordement. Encore faut-il apporter le peu que l’on a, pour que le Seigneur puisse le multiplier, dans la logique divine de la grâce. A garder pour soi, on perd tout. Ouvrant généreusement la main, le don se multiplie entre nos mains.

          « Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta le surplus des morceaux : douze pleins couffins ! » Dans ce terme grec « perissos » se niche la spécificité chrétienne, l’irruption de l’inouï de la grâce, le débordement du don, le dépassement de la nature. Composé de deux prépositions, « péri » et « iso », le terme renvoie à un au-delà de l’égale répartition, de la juste mesure. Chacun a eu sa part du don, jusqu’à satiété, et le don déborde encore. C’est à ce débordement de la nature que renvoie le Sermon sur la montagne pour qualifier le chrétien dans sa similitude avec le Père céleste (Mt 5,47-48). « Si votre justice ne déborde pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. » (Mt 5,20) C’est ce don que le Christ est venu porter à l’humanité : « Je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait surabondante. » (Jn 10,10). Tous les dimanches le pain de la Parole est rompu, le Christ se donne en nourriture pour alimenter en nous cette vie.

 

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