14ème Dimanche Ordinaire Année A

Mt 11, 25-30

Le joug et la joie

Par le Père Pierre ABRY,

  Jésus nous livre ce dimanche la conscience profonde qu’il a de lui-même. Il se sait connu d’une manière unique de son Père, et se reconnaît son Fils bien-aimé. Luc précise le contexte de cette révélation : l’exulta-tion d’une prière de bénédiction jaillissant dans l’Esprit Saint. « A cette heure même, Jésus tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit Saint et il dit : Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre… » (Lc 10, 21),

   L’homme religieux perçoit toujours la bénédiction de manière descendante, demandant à Dieu de bénir personnes et objets. En Christ, la bénédiction est montante : bénir, « bene-dicere », dire du bien du Père, dire le bien du Père, car « tout lui a été remis par son Père ». Jésus a conscience d’être connu et aimé de lui seul et de toute éternité. « Personne ne connaît le Fils, sinon le Père. »

   De cette connaissance par le Père qui se complait en lui, jaillit en Jésus la reconnaissance filiale, l’exultation de joie sous l’action de l’Esprit Saint, joie de connaître le Père de manière unique. Loin d’être fermée sur elle même, elle déborde sur le monde : « Personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler. » Irénée de Lyon commente en une sentence lapidaire : « Ce qui était invisible du Fils était le Père, et le visible du Père était le Fils. » Jésus nous introduit dans sa relation au Père. « Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux… qu’ils aient en eux-mêmes ma joie, celle dont tu m’as comblé. » (Jn 17,26 et 13)

  Joug et joie dériveraient de la même racine. Deux êtres ne choisissent-ils pas de se mettre sous le même « joug », dans la vie « con-jugale », pour partager une même joie ?! Comme le Fils connaît le Père et est connu de lui, ainsi le Fils nous connaît, partageant le joug de notre condition humaine. Il nous connaît accablés, « peinant, ployant sous le fardeau » et nous appelle à sa joie. Deux bœufs sous le même joug tracent leur sillon. Père et Fils, sous la même joie, tracent en ce monde leur commun dessein d’amour. Le Christ nous invite à prendre son joug, à nous mettre sous sa même joie, pour entrer dans ce dessein.

  Pour l’un, cette joie se « conjuguera » dans une vie précisément « conjugale », traçant en notre terre le sillon d’amour du Père par le sacrement du mariage. Pour l’autre, cette même joie se conjuguera en un célibat, consacré ou non, dans la même joie, sous le même joug qu’un un frère, une sœur, une communauté, un peuple, pour tracer le même sillon d’amour par une vie filiale et fraternelle.