Mercredi des cendres – carême Année A

Mt 6, 1-18

Des cendres en carême

Par le Père Pierre ABRY,

        Le carême est souvent vu comme une montée vers Pâques. Il s’agit bien plus d’y descendre… Les cendres imposées sur nos fronts rebelles, la parole qui accompagne le geste : « Tu es glaise et tu retourneras à la glaise » (Gn 3,19) nous appellent à descendre dans notre réalité profonde, notre condition adamique. D’ailleurs, « adama » désigne en hébreux à la fois la glaise et la cendre, notre condition fragile, pécheresse, mortelle.

   Qui reconnait son péché ? Sa perception vague est aussitôt effacée par nos constantes justifications : « Je suis comme ça ; c’est mon caractère ; c’est plus fort que moi… » Recevoir le signe des cendres et descendre en carême, c’est passer de l’état diffus de pécheur, à l’attitude consciente de pénitent ; reconnaître que ma manière de vivre m’éloigne de la communion avec Dieu et les frères, m’« excommunie », m’aliène du centre, m’exile à la périphérie. Mais l’Église composée de pécheurs est aussi mère aimante du pécheur. « L’Église est une réalité dont le centre est à sa périphérie » (Pape François).

    Descendre en carême signifie descendre dans l’arène, pour assumer le combat que le plus souvent nous fuyons, sous couvert des nécessités de la vie, de nos responsabilités ou même de la religion, nous aliénant dans la mondanité décriée par le pape François. Pour ce combat l’Évangile nous arme, dès le mercredi des cendres, du jeûne, de la prière et de l’aumône. Le premier dimanche de carême, l’Esprit Saint nous conduit à la bataille, au désert, comme Jésus et à sa suite, par l’évangile des trois tentations.

    La tentation de s’assurer le pain ne se combat qu’avec l’arme du jeûne, pour laisser émerger et nourrir en nous la faim profonde que seul l’amour du Père peut assouvir. On y découvre l’aliment véritable, la volonté du Père, pain substantiel que les fils demandent chaque jour, pour aimer Dieu de tout leur cœur. La tentation de mettre Dieu à l’épreuve, pour qu’il change le cours de notre histoire, ne se combat qu’avec l’arme de la prière véritable, comme celle du Christ à Gethsémani. Elle seule plie la raison et la chair, pour aimer Dieu de toute son âme. Enfin, la tentation de s’appuyer sur les idoles de ce monde pour parvenir à ses fins ne se combat que par l’aumône. Elle seule détrône Mamon, pour aimer Dieu de toutes ses forces. La bataille se livre au désert secret de nos cœurs, sous le regard du « Père qui voit dans le secret ». Elle façonne la glaise, l’adama que nous sommes, pour la disposer à recevoir, dans la Pâque du Christ, comme en une nouvelle genèse, le souffle vivifiant de l’Esprit.