Mc 10, 46-52
Fils de la honte ou de l’honneur
Par le Père Pierre Abry,
Aux portes de Jéricho, ville la plus basse du monde, assis au bord du chemin, un mendiant, aveugle, Bartimée, le fils (bar) de Timée. « Timée » peut se rapporter à l’hébreu « impureté, honte » ou au grec « honneur ». Ils sont foule, aux périphéries existentielles et sociales des Jéricho modernes, les fils de la honte, à notre honte, laissés au bord du chemin, mendiant l’amour, l’être personnel, la reconnaissance sociale et souvent leur pain quotidien.
Quelle est cette autre « foule considérable » en transit par Jéricho, qui en sort pour monter vers Jérusalem ? Jésus et ses disciples, l’Église en ascension, cheminant des bas-fonds de ce monde vers la Jérusalem céleste. Le « fils de la honte » crie vers le « Fils de David » : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! » Dans la foule ecclésiale pèlerine, certains, « ceux qui marchaient en tête… » (Lc 18,39) le rabrouent pour le faire taire. D’autres reçoivent de Jésus l’ordre « de le lui amener. » D’autres encore encouragent : « Aie confiance ! Lève-toi ! Il t’appelle ! » Tu cries « aie pitié », alors « aie confiance » ! Par la rencontre avec Jésus, par son toucher (Mt 20,34) et sa parole (Lc 18,42), mais surtout par la foi de l’aveugle, il recouvre la vue ; le « fils de la honte » devient « fils de l’honneur » ; celui qui était assis, immobile au bord du chemin est relevé et chemine « à la suite de Jésus ».
Ne nous plaçons pas trop vite dans la foule des disciples, présentant comme un ticket au contrôleur de la conscience un pédigrée baptismal. « Sommes-nous aveugles, nous aussi ? » s’exclament les pharisiens, lors de leur altercation avec Jésus, suite à la guérison d’un autre aveugle le jour du sabbat. « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais vous dites : Nous voyons ! Votre péché demeure. » (Jn 9,40) De toute évidence, « nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. » (2Co 5,7) Comme des aveugles, nous avançons à tâtons. Nous pensons voir de nos yeux. On entrevoit parfois des choses avec l’intelligence. Mais « on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux » confie comme un secret le renard au Petit Prince de Saint-Exupéry.
C’est dans le cœur, lieu de la conscience, que naît la claire vision de notre aveuglement et le cri de la supplication : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi pécheur ! » C’est dans le cœur, lieu de la relation, que résonne l’appel du Seigneur qui relève et attire ; que s’entend l’encouragement des frères : « confiance ! » C’est dans le cœur que se donne la foi qui sauve et met en chemin, à la suite de Jésus, vers la Jérusalem céleste. A sa suite, déjà « nous devenons semblables à lui parce que nous le voyons tel qu’il est. » (Cf. 1Jn 3,2) L’homme redevient « fils de l’honneur », recouvre sa dignité de fils de Dieu.