Parole de la semaine

8ème Dimanche du temps ordinaire Année C

Lc 6, 39-45

L’arbre, ses racines, son fruit

Par le Père Pierre Abry,

        La réalité nous précède. Puis, « L'homme donne des noms à » toutes choses (Gn 2,20), puis il écrit pour transmettre, et enfin traduit en toutes langues de la Babel mondialisée.De la traduction du réel en parole, en écrit, en langues, que de trahisons... Rebroussons chemin, pas à pas, pour tenter, par les mots, d’accéder à la Parole et au réel.

        Le texte grec de notre évangile dominical évoque « l’homme bon qui, du bon trésor de son cœur, tire le bien. »Il le compare à un « bel arbre » (et non un bon arbre) qui produit un « beau fruit ». Comment ne pas entendre l’allusion à la Genèse ? Le cœur de l’homme est comme un jardin d’Eden. L’Arbre de la Vie y est au centre. (Gn 2,9) Elle nous est donnée ! Cependant, comme Adam et Eve, toi et moi avons mis au centre « l’arbre de la connaissance du bien et du mal (...), beau à manger, séduisant à voir, et désirable pour acquérir la connaissance » (Gn 3,3.6) Ce « bel arbre » est ambivalent, il est entouré d’une séduction trompeuse comme d’un lierre : « Vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal. » (Gn 3,5) Il peut produire un « beau fruit » dans l’obéissance à la Parole, ou porter à l’expérience du mal, arbre mauvais au fruit pourri. Cédant à la tromperie, les yeux de l’homme se sont ouverts sur le mal qu’il ne connaissait pas. Il devient aveugle au bien. Il ne voit plus l’amour de Dieu dont il s’est coupé. Se voyant dans sa nudité, il est envahi par la peur et se cache dans le créé. Il voit le mal en l’autre, accuse et juge, sans même percevoir la poutre qui est dans son œil. « C’est la femme que tu as mise auprès de moi ... » (Gn 3,12) Il s’est chassé lui-même du jardin, devenant étranger à sa propre intériorité.

        Rien de mythologique dans ce récit, mais une description profonde, dans un langage symbolique, de notre réalité existentielle quotidienne. Si notre nature blessée présente cette inclination tendancielle au mal, qui nous fait glisser vers ce que nous ne voudrions pas, chaque jour aussi est offerte, dans le jardin intérieur, la grâce acquise par le Christ sur l’arbre de vie de la croix : la possibilité du bien. « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. » (Mt 6,21) « Le disciple achevé, devenu semblable au maître », dont le trésor est Christ au point de mettre en lui son cœur, « tirera du bon trésor de son cœur le bien. » Son œil sera limpide et illuminera son être tout entier. (Cf. Mt 6,22) ; De sa bouche débordera le trop plein du bien qui habite son cœur. « Heureux est l'homme qui se plaît dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit ! Il est comme un arbre planté près d'un ruisseau, qui donne du fruit en son temps, et jamais son feuillage ne sèche. » (Ps 1)