28ème Dimanche Temps ordinaire Année A

Mt 22, 1-14

Incorporés de force, Malgré-nous ?

Par le Père Pierre Abry,

        C’est bien de noces dont il est question, d’un amour qui conduit à la communion. « Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu ; engendré non pas créé, consubstantiel au Père », le Fils a épousé notre humanité. En Jésus de Nazareth, Dieu et l’homme sont unis en une seule chair. « Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau ! » (Ap 19,9) Conviés au festin, nous le sommes encore aux noces elles-mêmes, appelés à ne faire qu’un avec Christ. L’amour de Dieu va jusque-là !

        Cependant, l’amour ne saurait contraindre ou faire violence ; il ne s’impose pas, ne prend pas en otage ; il n’entre pas par effraction dans l’intime de la personne. L’invitation, aux noces met chacun face à sa libre réponse. Dans son quotidien, comme dans la parabole, l’homme n’en a cure, et s’en va « qui à son champ, qui à son commerce. » car là est son cœur, là est son trésor. L’invitation suscite même l’hostilité chez d’autres, jusqu’au meurtre des messagers. Le refus de Dieu qui caractérise l’homme mesquin manifeste la démesure de l’amour de Dieu qui ne s’y résigne pas. L’humanité entière est appelée à la croisée des chemins. Sont conviés « tous ceux qu’on pourra trouver », ceux qui se laisseront trouver, « les mauvais comme les bons », ainsi les ouvriers de la dernière heure que personne n’avait embauchés (Mt 20,7). L’amour ne fait pas acception de personnes, mais il entend être pris au sérieux. « On ira tous au paradis ? » La désinvolture de la chanson de Polnareff gomme bien difficilement la dramatique de l’existence humaine et ses enjeux.

        « Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir une tenue de noces ? » Pour les noces de l’Agneau, « l’épouse est faite belle : on lui a donné de se vêtir de lin d’une blancheur éclatante. » C’est encore un don à accueillir. « Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ ! » (Ga 3,27) Le fils prodigue en haillons qui, par la conversion intérieure revient au Père est revêtu du premier vêtement, du plus beau vêtement. Revenir au Père, c’est précisément revêtir la condition filiale qui nous est offerte, dans le libre consentement à l’amour. Mais il est des chrétiens “malgré-nous”, pour qui le vêtement blanc du baptême est comme l’uniforme allemand que les jeunes alsaciens étaient contraints de porter durant la dernière guerre. Ni l’uniforme, ni la cause et la patrie qu’ils représentaient n’étaient les leurs. Non, le Royaume des cieux ne saurait être une incorporation de force, un crève-cœur ; on n’y entre pas à contre-cœur. Au-delà des préoccupations mondaines et des idées dans l’air du temps, c’est bien la teneur de notre éternité qui se joue en notre existence ici-bas.