4ème Dimanche du temps ordinaire Année B

Mc 1, 21-28

Les possédés

Par le Père Pierre Abry,

        Dans le roman de Dostoïevski du même titre, l’évêque Tikhon affirme : « L’athéisme absolu est plus honnête que l’indifférence mondaine. » Il y a malhonnêteté, en effet, à se déclarer ‘croyant non pratiquant’. Si Dieu est Dieu, comment dire croire en lui, et vivre de fait comme s’il n’existait pas ? Telle croyance n’est pas la foi, mais une pseudo certitude, aussi commode qu’incohérente, pour justifier de vivre comme un pauvre diable. A l’opposé, l’évangile de ce dimanche met en scène ’un pratiquant non croyant’, le possédé de la synagogue de Capharnaüm, qui fréquente paisiblement l’assemblée hebdomadaire, indifférent au prêchi-prêcha des scribes sans effets sur lui.

       Alors que tout semble les opposer, ‘croyant non pratiquant’ et ‘pratiquant non croyant’ ne sont que les faces d’une même pièce, les deux visages d’un même démon. Tous deux sont possédés par leur prétendu savoir sur Jésus le Nazaréen : « Je sais qui tu es : le Saint de Dieu. » Mais avec le Dieu Saint, ni l’un ni l’autre ne veulent avoir affaire : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth – littéralement, qu’y a-t-il entre toi et nous ? » En dernier ressort, l’un et l’autre sont habités par une même peur : « Es-tu venu pour nous perdre ?» L’esprit impur rend impropre à la relation au Dieu vivant, c’est-à-dire au culte véritable.

        Gardons-nous de réduire l’épisode du possédé à des diableries obsolètes, auxquelles on ne croit plus désormais, tout en pratiquant allègrement à notre insu. L’homme prétendument moderne, éclairé, émancipé et libre de toute contrainte, est possédé par bien des choses, à commencer par les biens qu’il dit posséder. Il est vendu à d’insidieuses addictions. Il est subtilement lié de l’intérieur et par l’extérieur. Il est habité par la peur ancestrale d’Adam en rupture avec son créateur : « J’ai eu peur et je me suis caché… » (Gn 3,10) Les uns se cachent dans les choses de ce monde, les autres dans leurs certitudes.

        Aujourd’hui comme autrefois, le Christ est présent dans le capharnaüm de nos assemblées dominicales. Toujours, son enseignement est « nouveau », et pour cause, il est la Parole même du Père faite chair. Il ne se contente pas de commenter, il « interpelle vivement ». Il enseigne avec « autorité », car le Fils seul connaît le Père et le fait connaître. (Lc 10,22) « Je dis ce que j’ai vu chez mon Père… » (Jn 8,38) Parfois, la Parole « secoue violemment. Tais-toi ! Sors de cet homme. » Parce qu’il est l’amour du Père manifesté et donné, le Christ exorcise nos peurs, fait taire nos réquisitoires, déverrouille les prisons de nos raisonnements en boucle. La liturgie dominicale, sacrement de la Pâque du Christ agissante, rend l’homme à son Dieu, le fils à son Père, vraiment libre, délié.