5ème Dimanche de Pâques Année B

Jn 15, 1-8

La demeure de la Parole

Par le Père Pierre ABRY,

        Plongeant ses racines en terre pour étendre ses sarments et livrer généreusement ses fruits, la vigne offre au prophète et au psalmiste l’image d’Israël : « La vigne que tu as prise à l’Égypte, tu la replantes en chassant des nations ; tu l’enracines pour qu’elle emplisse le pays. » (Ps 79,9-10) Isaïe se lamente sur cette vigne qui a donné des verjus, alors que le Seigneur l’avait entourée de tous ses soins (Is 5). Jésus reprend  l’image  dans  la  parabole des vignerons homicides qui tuent le Fils envoyé par le Maître du domaine (Mt 21).

       Dans l’antiquité, la terre est l’enracinement, le lieu qui m’a vu naître. Mais plus que le lieu où il a ses racines, l’homme habite la terre où il prend racine, celle qu’il cultive. Pour le juif, fils d’Abraham, araméen errant cheminant dans la promesse, la terre est Terre Promise. Le drame d’Israël est de l’habiter plus comme une terre où s’enraciner, que comme une promesse dans laquelle cheminer. La mondialisation galopante oppose les « anywhere » et les « somewhere ». Les premiers, les « n’importe où », fortunés, médiatisés, sont partout chez eux. « Citoyens du monde » globalisé, la terre entière est à eux. Les « somewhere », les gens « de quelque part », moins aisés, sont liés à une terre, à des écosystèmes locaux. Toujours, on oublie les « nowhere », qui ne sont plus de nulle part, et n’ont nulle part où aller.

       Jésus porte au-delà de toute attente l’image de la vigne et de son enracinement : « Je suis la vraie vigne, vous, les sarments et mon Père est le vigneron. Demeurez en moi, comme moi en vous. » (Jn 15) La vigne n’est plus un peuple sur une terre, mais le Christ même. Le sarment n’a pas de racine en lui-même, la vigne qui le porte est sa racine. La vigne est dans ses sarments comme en son prolongement. C’est là qu’elle porte son fruit. Ainsi du Christ, du disciple et de l’Église. Nos racines sont dans la Vigne véritable, en Christ, dans sa manière de s’enraciner en notre terre, pour y vivre divinement la condition humaine. Vivifiés de la sève de son Esprit, nous porterons du fruit. Sinon, nous resterons secs.

       Pour demeurer en Lui, sa Parole doit demeurer en nous, et nous en sa Parole. La Parole se donne à habiter. Comme dans une terre, on y prend racine, la cultive, y chemine dans la Promesse. Comme dans une demeure, on y entre par la porte qui est Christ. On s’y assied, s’y promène, y fait les cents pas ; on y va et vient, comme de Jérusalem à Emmaüs. Par ses fenêtres, le monde se donne à voir d’une manière nouvelle. Alors, paraphrasant la lettre à Diognète du IIème siècle : Toute terre étrangère nous est une patrie et toute patrie une terre étrangère. Nous passons notre vie sur terre, mais sommes citoyens du ciel. C’est le sens du mot paroissien, « paroikos », étranger domicilié.