7ème Dimanche Ordinaire Année A

Mt 5, 38-48

L’Ennemi véritable

Par le Père Pierre ABRY,

        « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! Moi je vous dis : Aimez vos ennemis. » L’expression « haïr ton ennemi » n’apparaît pas dans l’Ancien Testament, même si certains, tels les Esséniens, nourrissaient une haine du pécheur. Par ailleurs, celui traduit par « prochain » est le coreligionnaire, le compagnon et même, dans le Cantique des Cantiques, la Bien-aimée. L’araméen n’a pas de comparatif. Faut-il donc comprendre : « Tu donneras ta préférence à ton compatriote », comme lorsque Malachie écrit : « J’ai aimé Jacob, et haï Ésaü. » (1,2) pour dire que Dieu a préféré Jacob ? Jésus répondra à la cananéenne : « Il ne convient pas de jeter le pain des enfants aux petits chiens », aux païens. (Mt 15,26) Si l’appartenance au peuple élu peut tourner au mépris du « goy », la Loi appelle aussi à la bienveillance : « Tu ne molesteras pas l’étranger, ni ne l’opprimeras, car vous-mêmes avez été étrangers dans le pays d’Égypte. » (Ex 22,21) Alors, qui donc est mon prochain ? Au légiste Jésus répondra par la parabole du bon samaritain. Curieusement, il n’y dit pas qui est le prochain, mais « qui s’est montré le prochain » de l’homme tombé aux mains des brigands. Le prochain n’est pas une catégorie socioreligieuse, mais celui dont tu t’es fait proche.

   Que faut-il entendre par « aimer l’ennemi » ? Qui est l’ennemi ? Grecs et Latins distinguaient l’ennemi personnel, de l’ennemi public dans les hostilités guerrières. C’est bien de l’ennemi personnel (echthros/inimicus) dont il s’agit dans l’évangile et non de géopolitique. Si le prochain est celui dont on s’est fait proche, l’ennemi est celui avec lequel s’est installée la distance. On l’a mise ou il l’a prise. Dans l’interstice grandit l’inimitié, qui peut devenir détestation, haine. L’autre en est devenu « in-amicus », ennemi. Il n’est plus un vis-à-vis, un visage-à-visage, une personne, mais devient étranger et finalement, une figure abstraite objet d’une haine abstraite. Paul rappelle que notre combat n’est pas contre les personnes, mais contre les esprits du mal, les puissances qui régissent ce monde de ténèbres (Ep 6,12). Il y a donc bien un ennemi à haïr, l’Ennemi, mais des ennemis à aimer. La seule voie est de leur redonner un visage humain, et pour cela de leur présenter d’abord un visage d’homme. « Voici l’homme », dira Pilate du Christ. Lui n’a pas résisté à la gifle du soldat, ni au procès inique pour lui enlever la tunique, ni encore à porter le fardeau de la croix sur bien plus d’un mille. Lui est le « Fils du Père qui est dans les cieux », le fils parfait et achevé, (Mt 5,45.48). Dans le face-à-face avec Lui, nous sera rendu notre visage d’homme, pour discerner dans l’ennemi, le visage du frère.