Christ, Roi de l’univers Année A

Mt 25, 31-46

Triple surprise

Par le Père Pierre Abry,

        La première sera peut-être bien une mauvaise surprise pour l’homme moderne, qui se fait la mesure de toute chose, jusqu’à effacer de son champ de conscience qu’un dernier jugement est fait par un Autre que lui. Mais sans cette perspective objective ultime, il n’y aurait plus ni bien ni mal ; tout serait permis, acceptable, négociable, ajustable, de la vie naissante éliminée, à celle finissante abrégée, sans parler de l’entre deux. Non ! Nos décisions ne sont pas indifférentes. Nos moindres actes ont une consistance éternelle. Agir, c’est discerner et choisir ; choisir, c’est renoncer et assumer. Il n’y a guère de place pour des « en même temps » relevant d’une démission irresponsable d’adolescent jouisseur.

        La deuxième sera une surprise générale. En effet, tout homme, de toute race ou religion sera face à la Vérité. L’évangile atteste la surprise des bons comme des réprouvés : « Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ? » Le Christ était donc là où personne ne le voyait.

        Pour ceux qui auront eu la grâce de connaitre le Christ, il était dans « ces plus petits d’entre mes frères » qui, dans la précarité matérielle et spirituelle l’annonçaient. « Qui vous accueille, m’accueille ; qui m’accueille, accueille Celui qui m’a envoyé. » (Mt 10, 40) Tout disciple est frère du Christ par le baptême, même ces « plus petits d’entre les frères » tant décriés, les ministres ordonnés, ces « minus » dont le « ministère » tire son nom. Ces temps-ci, des « petits » passent de porte en porte dans notre quartier, témoignant du Christ. Seront-ils accueillis ou méprisés ? Si l’accueil des plus petits d’entre les frères ouvre « l’héritage du Royaume préparé depuis la fondation du monde », l’indifférence aux détresses des « plus petits », sans mention de frères, vaut pour tous d’être réprouvés. Le Christ s’identifie à la foule des Lazares aux portes de nos sociétés consuméristes, des petits aux périphéries d’une humanité qui cultive le rebut.

        Enfin, la troisième surprise est peut-être la plus grande de toutes, la plus déconcertante : Les hommes ne sont pas tant jugés sur le mal qu’ils ont fait, sur les péchés commis, que sur le bien qu’ils auront omis ou négligé d’accomplir. Le jugement de Dieu, le jugement dernier et le dernier jugement est l’acte qui exprime la vérité ultime sur l’homme et l’histoire. Sa mesure n’est pas le mal qui déjà a été vaincu et anéanti dans la Pâque du Christ, sa mesure est le bien. Saint Jean de la Croix résume le tout dans cette formule lapidaire : « Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour. »