Jeudi Saint Triduum pascal Année C

Jn 13, 1-15

Heureuse nuit

 Par le Père Pierre ABRY,

     Le Jeudi Saint, dans la messe en mémoire de la Cène du Seigneur, l’Église célèbre l’in-stitution de l’eucharistie, proclamant le seul des quatre évangiles qui passe sous silence les paroles du Christ sur le pain et le vin ! Elle élargit ainsi l’horizon des disciples, toujours tentés de chosifier le rite du pain et du vin. « Hocus pocus » ricanaient les réformateurs, y percevant comme une magie incantatoire. « Ceci est mon corps, livré pour vous. Ceci est mon sang versé pour vous… Faites cela, en mémoire de moi. » (Lc 22,19s) Faites cela ? De quoi s’agit-il ? Du seul geste du pain et du vin ? Non, mais bien de la nuit entière, mémorial de la Pâque du Seigneur. « Cette nuit durant laquelle le Seigneur a veillé pour les faire sortir d’Égypte, doit être pour tous les Israélites une veille pour le Seigneur, dans les générations à venir. » (Ex 12,42) Chaque année, Israël célèbre cette nuit dans la certitude que le Seigneur passe, « pessah », pour libérer de l’esclavage. Le pain y signifie l’esclavage de l’Égypte. Le récit de l’Exode rend l’événement présent et agissant. Le repas au cœur de la nuit consomme l’agneau pascal immolé. Enfin, la coupe de bénédiction après le repas actualise l’alliance scellée au Sinaï et l’entrée dans la Terre promise.

     Jésus est bien juif et pratiquant ! Depuis l’enfance, il a vécu avec ses parents et proches, la nuit pascale qu’il célèbre maintenant avec ses disciples. Il est venu accomplir, dans notre nature humaine assumée, la Pâque, l’Exode vers le Père. Il donne à la Pâque son véritable et ultime contenu. Désormais, ce pain n’est plus symbole de l’esclavage d’Égypte, mais son corps chargé de l’esclavage de tout homme, le péché. Cette coupe ne rend plus présente l’alliance du Sinaï, mais l’alliance nouvelle et éternelle, son sang, sa vie donnée, sa vie de résurrection répandue en nos cœurs, pour faire entrer dans le Royaume, la communion avec le Père. Il est l’Agneau véritable immolé.

      Le lendemain, alors que les agneaux de la Pâque étaient immolés dans le temple, Jésus était immolé sur la croix. Alors qu’Israël célébrait la nuit pascale, le Messie attendu accomplissait la Pâque à l’insu du plus grand nombre. Il est entré dans le grand sabbat du repos de la mort. La nuit cèdera à un jour nouveau, premier jour de la semaine, jour du Seigneur, dans la lumière de la victoire sur la mort. Heureuse nuit qui a vu l’heure où le Christ est ressuscité. Heureuse nuit qui unit l’homme à son Dieu ; nuit de délivrance qui rejaillit sur les dimanches de l’année en une Pâque hebdomadaire. Pâque présente à chaque eucharistie, qui unit les disciples dans l’amour fraternel et fait retourner dans l’action de grâce au Père, l’univers qui est don de sa grâce.