Vendredi Saint Année B

Jn 18, 1-19,42

Éclipse de Dieu et matin de résurrection

Par le Père Pierre ABRY,

     Ce vendredi, en plein midi, l’obscurité se fait sur toute la terre, jusqu’au cri de détresse absolu du Fils de l’homme à trois heures : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Plongeons dans cet abîme d’abandon. « Le Christ Jésus, lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. » (Ph 2,6-7) Pour assumer réellement notre nature, le Fils a donc laissé, « déposé » les attributs de sa divinité entre les mains du Père. À chaque instant de son existence, il s’est reçu de son Père, par l’Esprit Saint, dans ce qui lui était nécessaire pour accomplir sa mission. Cependant, il n’est pas venu enseigner aux hommes à mieux vivre, mais bien les sauver, en se chargeant du péché qui sépare de Dieu. Aussi, « il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix », (Ph 2,8) mort de pécheur, mort de malfaiteur.

   À mesure que le Christ entre dans sa passion et se charge du péché des hommes, il est emporté par ce flot dans une situation croissante d’éloignement de Dieu, de perdition ; car c’est bien cela le péché. La crucifixion est d’une cruauté sans pareille ; mais que dire de la souffrance de l’âme ? Porter le péché ne consiste pas seulement à livrer son corps au fouet et aux clous qui frappent la chair de l’extérieur. Le Christ a livré son être entier à ce qui lui est le plus étranger, le péché, la séparation du Père, au point d’être désormais privé de la vision du Père. « Celui qui n’avait pas connu le péché, Dieu l’a fait péché pour nous. » (2Co 5,21) Le Père, toujours présent et aimant est voilé aux yeux du Fils qui entre dans l’agonie du pécheur. Le Père lui aussi souffre la passion du Fils, se conformant à elle, se taisant devant l’offrande librement consentie du Fils. L’Esprit Saint, amour entre les deux, est lui-même atteint par ces ténèbres entre eux.

  Il ne reste au Fils, dépouillé de tout, que la vision absolue du péché, la privation de tout amour, la descente aux enfers, le point indépassable d’éloignement de Dieu. Nul homme ne saurait souffrir la profondeur de cet état d’abandon de Dieu, sinon le Fils qui de toute éternité est dans la communion du Père, par le Lien d’Amour qu’est l’Esprit. L’amour est allé jusqu’en ces ténèbres, pour reprendre l’homme du plus profond. « Aussi, Dieu l’a exalté et lui a donné le Nom au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus, tout s’agenouille aux cieux, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame de Jésus-Christ, qu’il est SEIGNEUR, à la gloire de Dieu le Père. » (Ph 2, 9-11)