29ème Dimanche du temps ordinaire Année A

Mt 22, 15-21

Le visage et le masque

Par le Père Pierre ABRY,

       « Est-il permis ou non, de payer l’impôt à César ? » Jésus connaît la perversité des pharisiens qui tendent le piège. « Hypocrites ! Pourquoi me tentez-vous, me mettez-vous à l’épreuve ? » La racine des mots aide à percevoir la réalité des choses qu’ils désignent. Avant de revêtir le sens négatif actuel, « l’hypocrite » est en grec l’acteur de théâtre qui joue un rôle, et pour cela revêt un masque, un ‘prosopôn’, une apparence. La face s’efface par derrière le masque, la personne cède au personnage, la réalité à la représentation.

       Les pharisiens abordent par derrière, ‘perversus’, en une adulation toute théâtrale : « Tu es toujours vrai, tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ; tu ne te laisses pas influencer, car tu ne considères pas les gens selon le prosopôn. » Ils tiennent pour un imposteur à démasquer, celui qui met au jour leur mascarade, qui dissimule l’avarice sous le masque de la licéité religieuse et la volonté de nuire derrière une façade de quête de vérité.

       En Jésus, nulle distance entre être et paraître : le ‘prosopôn’, le visage est épiphanie de la réalité profonde. « Icône du Dieu invisible » (Col 1,15), « resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance » (He 1,3), il dira à Philippe : « Qui m’a vu, a vu le Père » (Jn 14,9) Comme la femme de la parabole, il est venu chercher la drachme perdue, Adam marqué à l’ « icône et ressemblance » de Dieu. (Gn 1,26), devenu « errant parcourant la terre » (Gn 4,14) pour avoir délaissé le vis-à-vis avec son Créateur, le visage à visage qui l’avait fait advenir à l’existence (Gn 2,7). L’homme est devenu un masque qui cache le vide intérieur.

       Sur le denier de l’impôt, « de qui est l’icône et l’inscription ? – De César. – Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Pour rendre l’homme à Dieu dont il porte l’icône, le Fils s’est chargé de notre dissemblance, « sans soustraire sa face aux outrages et aux crachats » (Is 50,6), jusqu’à « n’avoir plus figure humaine » (Is 52,14) sur la croix. Dans ce dépouillement, il a pleinement révélé le visage d’amour du Père, qui nous a destiné, nous aussi, à « reproduire l’icône de son Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères. » (Rm 8,29) Par l’annonce de l’évangile, « il a fait briller en nos cœurs la connaissance de sa gloire qui est sur la face du Christ. » (2Co 4,6) Comme le denier est à l’effigie et à l’épigraphie de César et lui revient, « les serviteurs de Dieu l’adoreront, ils verront sa face, et son nom sera inscrit sur leur front. » (Ap 22,4)

       Le face-à-face, mieux, le face-à-masque de Jésus avec les pharisiens n’est pas sans lien avec la dramatique théâtrale actuelle où nos visages s’effacent derrière les masques.

 

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